La rencontre avec le grand chef Jacques Chibois a été un retour en enfance. Je l'ai trouvé si puissant vu que peu importe d'où l'on vient, les souvenirs d'enfance restent une connexion subtile assez forte. Cette fois, c'était époustouflant parce que nous avions les mêmes souvenirs, même s'ils venaient de différents coins du monde, de différentes tranches d'âge.
La marmite qui mijote lentement dans le four, les odeurs dans la cuisine où maman cuisinait, le parfum d'orange recu comme cadeau à Noël, l'amour de partager et de vivre en donnant aux autres, de vivre à travers les autres. Il n'y avait pas d'argent, mais la pièce d'échange était l'amour. Qu'est-ce que c'est beau?!
Plus tard dans la vie, tout comme Jacques Chibois, j'ai découvert la belle Côte d'Azur et nous avons eu la même sensation d'exotisme. En voyant ces oranges, que nous ne recevions à Noël, s'attardant dans les arbres toute l'année, les herbes, les plantes, les parfums, tout ce qui composait l'espace méditerranéen était un paradis en soi.
Le jardin de La Bastide Saint Antoine à Grasse, propriété du grand chef, révélait lentement ces odeurs de la vie, les vraies qu'on oublie si profondément parfois. Les parfums de l'herbe fraîchement coupée et des orangers en fleurs.
Une immersion dans ce véritable Jacques Chibois qui se dévoile peu à peu.
‘Mes origines sont de Périgord Limousin, en bas de la Haute Vienne et en haut de la Dordogne. Mes parents étaient des agriculteurs mais, aussi, surtout des meunières. Autrefois, les meunières étaient aussi des commerçants et il y avait une table d'hôte.'
Il me raconte comme sa maman tenait une table d'hôte et faisait rassembler plein de gens, parce qu'elle était une très bonne cuisinière et faisait tout avec amour. Une cuisine avec des cepes, de foie gras, de truffes, les canards. C'est d'ici votre héritage ...
‘C'est un héritage culinaire! Mes parents m'ont dirigé vers un BTS agricole mais c'était pas mon ADN essentiel, même si j'aime bien. Je me suis décidé de faire la cuisine et je suis parti faire un concours pour entrer dans une école hôtelière à Toulouse. Je ne suis pas allé parce que le père d'un ami m'a parlé d'un Monsieur qui cherchait un apprenti. Et j'ai parti et je suis resté un an. Au bout d'un an, il a décidé de vendre pour construire son propre restaurant. Il m'a envoyé à Paris chez Michel Guerard. Il faut savoir qu'il y avait un homonyme, il y avait deux Michel Guerard et lui ne le savait pas.'
Comme par hazard les choses vont vers une direction, parfois aidé par les autres, autrefois par nos propres ailes. Et, des fois, c'est le cœur qui bat plus forte quand on va vers une certaine direction. C'est la qu'on saut que l;émotion grandisse en nous en même temps que nos rêves. Mais pour aller à Paris ...
‘Il fallait convaincre mes parents. Le chef a dit à mes parents que je ne leur appartenait pas, j'appartenait à la cuisine.'
Michel Guerard, le chef qui a révolutionné la cuisine minceur
‘Je suis arrivé à Paris, chez le vrai Michel Guerard, le cuisinier qui a fait évoluer la cuisine avec un côté créative. Je suis tombé chez le bon! Par contre, au bout de huit jours, je regardais la photo qu'on me l'avait donnée et je voyais le visage de Monsieur. Et je lui ai dit: ‘Monsieur Guerard, je crois qu'on s'est trompés!"
Il était étonné aussi parce qu'il savait pas qu'il y avait un autre Michel Guerard qui était cuisinier. Il me demande qu'est ce que je décide et je lui dis que je reste.
Apres, il a fait sa recherche et, après huit jours, il me dit que j'ai de la chance parce que le Michel Guerard s'était le chef de cuisine qui faisait les petits barquettes pour les avions. Et c'est la que tout a commencé!'
Vous pensez qu'il faut passer par Paris pour être un bon cuisinier?
‘Il faut passer Paris parce qu'il y a beaucoup de concurrence, de qualité et Paris c'est Paris! Tout le monde vient à Paris.'
La capitale du monde ...
‘Oui, pour la cuisine et pour les arts, les parfums, la couture. Paris est un symbol. Au début de siècle, Paris faisait rêver. Toujours encore!
Tout se passait à Paris. Ça m'a permit d'aller plus vite.
Tout est compliqué et si on resiste, c'est qu'on en veux. Une petite personne parmi douze million. C'est l‘indifférence complète!'
Quand la vie donne des coups de pieds pour avancer plus vite, des changements du destin qui font bousculer les choses et avancer, c'est qu'il y a une force plus grande que nous.
‘Au bout de six mois, Michel Guerard était consultant d'un restaurant cabaret russe à Paris qui s'appelait Reginskaya, le cabaret de Régine, la chanteuse. Un soir, le chef se dispute avec le directeur, il part et Régine appele Michel à minuit pour lui dire que son chef est parti. Il vient vite me voir et me dit que je dois remplacer le chef. Moi j'étais apprenti.'
Jacques Chibois était complètement surpris ... par le fait, par le destin. D'un seul coup, le chef Michel Guerard le regarde et lui dit: ‘J'espère que tu réussies et que, surtout, ne déçoit pas!'
La pression monte et fait vibrer le corps et le cœur de Jacques Chibois. Dans cet instant la, il sentais les épaules plus lourdes, mais le cœur battait avec fierté. C'était le coup de destin! Et il l'avait réussi! C'était l'étonnement de tout le monde de savoir qu'il était seulement un apprenti.
‘Ma carrière a commencé la. Ensuite, j'ai fait le service militaire chez le Général De Boissieu. J'ai fait la cuisine chez le Général des Armées Françaises, le gendre de Gaulle. J'étais avec la fille de Gaulle ce qui m'a permis d'évoluer après.
J'ai continué à travailler avec Michel Guerard qui m'a placé chez Jean Delaveyne, chez Roger Verger, chez Louis Outhier. Il m'a repris pour aller aux Eugénie les bains et après Paris pour m'occuper d'un changement que Régine avait fait avec un autre restaurant, Chez Régine. Après je me suis occupé d'ouvrir Regines Londres, New York, Sao Polo.
Je me suis occupé avec Michel Guerard de son agro-alimentaire, aussi les repas pour les Ministères.'
Jacques Chibois faisait plein de choses ...
‘A la tele sur TF1, avec Michel Guerard, on parlait de la cuisine légère. Je suis devenu très rapidement chef responsable. Après, j'ai voulu être moi même. L'hôtel Gray d'Albion s'ouvrait à Cannes en 1982 et j'ai parti pour travailler la bas.'
Changement de décor ...
‘Oui et j'étais le seul chef du France d'un hôtel de 200 chambres, 7 restaurant. Un restaurant qui ouvrait tous les mois. Le recrutement, la compétition, la dynamique, il fallait tout faire."
Ça change la dynamique?
‘Cannes avait la même dynamique que Paris parce que c'est très touristique, avec tous ces événements. Côte d'Azur et Paris sont presque pareil. Côte d'Azur plus été, Paris plus hiver.
Au bout de trois mois, le Gault & Millau est venu à goûter notre cuisine à l'ouverture de Festival de Cannes en marquant en premier ‘une nouvelle star est arrivée sur la Croisette''.
Je suis passé de six couverts par jours à 80 clients par jours. Ma carrière est partie comme ça. Après, tous les guides ont suivi et, comme ça, je suis devenu chef international. J'étais consultant d'Intercontinental, aux États Unis j'avais 180 hôtels, en Japon. En Grèce j'ai créé un ressort, un restaurant étoile Michelin."
Un petit chez soi qu'un grand chez les autres
‘Douze ans après, j'ai ouvert La Bastide Saint Antoine parce que j'ai préféré un petit chez soi qu'un grand chez les autres. Un effet boule de neige, une réussite assez vite parce que les gens se déplacent pour vivre un lieu, une expérience. On aime bien avoir une différence avec le reste et apporter une cuisine complètement différente. J'ai ouvert la cuisine avec le sens symbole qui est Grasse.'
Quelle est la spécificité de votre cuisine, en fait?
‘Je travail les arômes, le parfum qui représente le goût et la cuisine.'
Donnez nous un secret ...
‘J'ai décidé de cuisiner les légumes en dessert et de mettre de l'huile d'olive et ça c'était une révolution. Aussi, dans la cuisine, apporter tous ces parfums délicats que la Côte d'Azur et la Provence ont. Avec ses fleurs, ses herbes ...
Ça m'a touché énormément parce que je ne suis pas d'ici. Je suis d'ailleurs. Tous ces produits sur la Côte d'Azur étaient pour moi des produits exotiques. Une révélation!
Vous êtes assises sur un tas d'or et vous ne le savez pas.
Dans ce côté exotique, j'ai apporté deux valeurs: redonner une valeurs assez communs pour eux, mais pas pour nous, et l'huile d'olive que j'ai découvert ici.'
Le gout de mandarines à Noel, le plus précieux souvenir de l'enfance avec son parfum inoubliable qui se colle à nos âmes...
‘Je me souvient pour Noël, les parents achetaient un ‘envoie de Nice'. Il y avait huit mandarines. Une pour chacun. Et quand j'ai vu toutes ces mandarines dans les arbres, je me suis dis que je suis dans un paradis. Ce paradis j'ai essayé de le transformer dans la cuisine et apporter une cuisine très odorante, très goûteuse, très légère. Grâce à Michel Guerard, créatif, et en même temps légère, comme aussi dans son livre dont j'ai participé.
Ça veut dire quoi la cuisine légère?
‘Vous pouvez manger un maximum, sans grossir et en étant en bonne Sante. Éliminer tous les produits qui sont néfastes au goût , au super poids et équilibres. Aussi légère dans ses saveurs et ses produits très frais pour avoir une qualité de la vie. C'était la cuisine du marché, la cuisine de jardin, avec toute ce que le Sud peut nous apporter.'
Vous pensez que ce type de cuisine est devenu de plus en plus une tendance ou pas?
‘C'était la vérité qu'on avait oublié et qu'on continue à l'oublier aujourd'hui. 80% de la planète mange de l'agroalimentaire et 20% cuisine. Après, ils s'étonnent qu'il y a des maladies, qu'ils sont obèses. Les gens achètent de belles cuisines pour leurs appartements, mais ils font jamais rien.
Maintenant, on apporte cette cuisine de Provence, cette cuisine de la Méditerranée avec toutes ses influences.'
La cuisine française, une culture en soi, l'origine de toutes les cuisines en tant que métier ...
‘La cuisine française est un vrai métier. C'est la seule cuisine du monde, grâce à Louis XIV et ses grandes fêtes, qui avait beaucoup d'importance. Ses cuisiniers qui étaient apprécié par le Roi, avançaient dans leur carrière. Ils devenaient cuisiniers par la grande Catherine qui avait révolutionné la Russie. A la cour de Russie, a l'époque, on parlait Français. On a apporté les chefs qui ont commencé à écrire des recettes. Et les peser. Et comme ça a été créé le métier de cuisinier. La grande cuisine a continué d'évoluer et, aujourd'hui, notre génération et celle de Michel Guerard, de Paul Bocuse, on fait connaître notre métier, nos restaurants dans le monde entier et la culture française. On a formé énormément de jeunes du monde entier. Aujourd'hui il y'a des grands chefs dans le monde entier qui ont été formés par les Français.'
Ou en est la cuisine française aujourd'hui?
Ce qu'on a enseigné est de garder la philosophie française, mais aujourd'hui on mélange un petit peu trop les cuisines dans la cuisine française. Elle perd tout un petit peu son identité. La France a 5-6 climats et chaque Provence a des cultures différentes. Cette richesse avec peu de distances a fait la grande cuisine française. Aujourd'hui on va trop vers le sensationnel.'
Derrière cette simplicité, on peut rien cacher
‘On créé des choses émotionnelles par le goût, par la vraie créativité. Aujourd'hui la créativité c'est de mettre plein de choses sur le plat et on comprend plus ce qu'on mange.
On a perdu le sens de l'art! Ces peu de choses qu'on mets ensemble, qui grandissent et qui font une œuvre d'art! Derrière cette simplicité, on peut rien cacher.'
Ou est vous dans ce contexte, quelle est votre philosophie?
‘Tout est culturel. Je viens de Limousin ou il y a une cuisine très mijotée. Ou on cuit lentement et longtemps. C'est une cuisine très goûteuse. On mangeait extrêmement bien. Je viens ici, sur la Côte d'Azur, et ça change. Le climat est complètement différent, l'air est beaucoup plus chaud. produits qu'on n'a pas dans le centre de la France. Toutes ces herbes, les arômes! On cuisine très légère. Une cuisine de poissons, aussi! Quand on mélange les deux, on a une cuisine expressive.
Les agricoles m'ont dit: ‘il faut qu'il soit un étranger qui vienne nous faire voir une autre façon de cuisiner de nos produits'
Quand le chef mélange son héritage d'enfance avec la découverte exotique, qu'est ce que ça donne?
Ça fait une cuisine d'auteur, une cuisine signature! On se souvient d'un plat, d'une maison, d'une personne, d'une région!'
Le seul argent s'était l'amour
‘On est cuisiniers grâce à nos mamans, à nos grand-mères parce qu'elles étaient des dames qui aimaient leur famille, leur entourage. A l'époque les gens n'avaient pas d'argent. Le seul argent c'était l'amour et l'amitié. Cet argent la c'était de donner, de donner de sa personne à quelqu'un. Comme on n'avait pas d'argent physique, cet argent c'était le bonheur de transmettre, de partager. Ils offraient ce qu'ils avaient. C'était leur monnaie d'échange. C'était une table d'hôte, cette bonheur autour de soi et qu'il faut pas oublier parce qu'aujourd'hui, on est en train de la perdre. A cause de téléphone, de régime, de système!
Pour faire notre métier, c'est aimer les autres et être avec eux, participer entre nous, partager. Dans la vie, si on n'a pas les autres, on peut rien faire. C'est les autres qui vous font grandir. C'est les autres qui vous font réussir. Et si les autres n'ont aucune importance, c'est la fin du monde, de la vérité.
Par Andra Oprea
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